LA GRANDE ÉRAFLURE
Je suis née les mains sales
Je suis née meurtrière
Je sais comment faire mal
C'est moi qui ai tué ma mère
J'ai pris son dernier souffle
Pour m'en faire un premier
Pour remporter la course
J'lui ai fait perdre pied
Quand j'ai crié victoire
Il n'y a pas eu d'écho
C'était déjà trop tard
Elle n'a pas dit un mot
En m'prélevant d'son corps
On a prélevé l'seul cœur
Qui fonctionnait encore
J'ai volé sa vigueur
J'ai dérobé son rire
Mais j'l'utilise jamais
Puisqu'elle n'a pas pu m'dire
Au juste comment on fait
J'ai pris la vie de celle
Qui m'a donné la mienne
Faut-il que j'prenne son ciel
Maintenant pour qu'elle revienne
J'me cherche des talents
J'essaie d'gagner des sous
Prouver qu'avec le temps
Je vais valoir le coût
J'veux rembourser ma dette
Mais maman n'a pas d'prix
J'ai fait l'erreur de naître
Et je vaux pas ma vie
J'voudrais valoir la peine
Mais la peine est trop lourde
Y a trop de plaies qui saignent
Pour celles que j'peux recoudre
Je n'ai qu'un papa triste
Un pauv' papa qui tremble
Qui n'voit, quand il me fixe
Que celle à qui j'ressemble
Il avait pas prévu
De m'élever par lui-même
J'l'ai pris au dépourvu
En lui prenant sa reine
C'était pas mes six livres
Qui allaient faire le poids
Je sais de quoi j'le prive
Je mérite pas ses bras
J'ai le souvenir amer
D'avoir cherché un sein
J'ai eu soif de ma mère
Dès mon premier matin
Mais c'est bien son absence
Qui fut mon premier port
Puisque c'est ma naissance
Qui a causé sa mort
J'ai tant besoin d'l'amour
De la femme qu'elle fut
Avant le fameux jour
De ma maudite venue
J'ai des photos nombreuses
D'une brunette menue
Elle était merveilleuse
Avant que je la tue
J'ai bien depuis l'début
Ce crime sur la conscience
Je vis comme une dét'nue
J'me purge l'existence
J'ai 35 ans ou presque
J'fais pas encore mes nuits
Et j'me d'mande encore qu'est-ce
Que j'suis v'nue faire ici
Je suis née les mains sales
Je suis née meurtrière
Je sais comment faire mal
C'est moi qui ai tué ma mère
Elle m'a ouvert ses hanches
Elle a souffert pour rien
Elle attendait un ange
Et pas un assassin
Des fois, je la déteste
D'avoir dit : "Sauvez-la!"
C'était pas un beau geste
J'étais pas un bon choix
C'était un abandon
C'est elle, la fautive
Mais quelle malédiction
Que celle de lui survivre
On m'raconte son histoire
Dont j'ai été le terme
J'voudrais tellement la voir
Et lui dire que l'aime
Que j'ai pas fait exprès
Pour être son poison
Que moi, tout c'que j'voulais
C'tait juste être son poupon
On dirait que j'attends
Encore en quelque sorte
Qu'on m'dise que maman
Elle est pas vraiment morte
J'voudrais un bisou d'elle
Sur ma grande éraflure
Qu'elle me console et qu'elle
Me serre et me rassure
Je suis issue d'un drame
Je suis née d'une dépouille
Ne séchez pas mes larmes
Qu'à jamais, elles me mouillent
J'cultive ma tristesse
Comme un joli jardin
Car la seule mère qu'y' m'reste
Elle vit dans mon chagrin
Je verse des larmes d'or
Et j'veux jamais m'en r'mettre
J'ai peur qu'elle meure encore
En me voyant renaître
Bon j'ai vidé mon sac
J'ai bien drainé mes yeux
C'est peut-être un miracle
Mais j'me sens un peu mieux
Peut-être qu'elle m'entend
De là où elle se cache
Et qu'la vie qu'j'ai devant
Elle veut pas que j'la gâche
Je la sens qui se penche
Sur mon berceau d'adulte
Elle me tend ses mains blanches
Et calme mon tumulte
Un nouveau jour commence
Je fais mes premiers pas
Je retrousse mes manches
Je pousse un cri de joie
Je suis issue d'un drame
Je suis née d'un cadavre
Mais en séchant mes larmes
J'me sens devenir brave
Je sors de ma prison
J'titube vers l'avenir
Je me demande pardon
Et j'apprends à sourire
Je suis née criminelle
Mais je n'ai rien fait d'mal
C'tait pas intentionnel
Et si mes mains sont sales
C'est seulement de pastel
Ou de gouache, ou de plomb
Qu'j'prenais en maternelle
Pour m'tracer une maison
C'est une horreur de naître
D'une maman sans vie
Mais c't'une erreur de n'être
Qu'un fantôme depuis
Si j'deviens digne d'amour
Si j'm'illumine un peu
Peut-être bien qu'un jour
J'verrai papa heureux
Lynda Lemay