[1e de 2 parties]
[1] Ouverture
[Séquence I: Autour de Noël]
[2] Scène 1
[Rimling, bourg de Moselle. Repas de famille chez les Schmidt. Veille de Noël. Mme Schmidt et sa fille Léone préparent la Dinde. Mme Schmidt raconte un fait divers sordide lu dans le journal. Le chœur - mezzo, baryton, basse - scande son récit. Réalité ou souvenir fantasmé de Léone...]
Madame Schmidt:
Là-bas à Rimling, il y a eu un drame, le boucher a foutu le bébé à sa gamine dans les vécés.
Léone:
Un bébé?!
Madame Schmidt:
C'est l'employé du boucher, un turc, qui a fait le gosse à sa gamine, le boucher a pas vu le gros ventre à sa gamine, toujours à sa boucherie, avec ses steaks.
Ils mangeaient, c'était un dimanche, la gamine a dit: <<Je m'sens mal!>>, elle est allée aux vécés, elle a accouché dans les vécés, la grande sœur qui savait tout, elle appelle le Samu: <<Ma sœur elle accouche, venez, venez vite!>>
Le boucher, il rapplique dans les vécés, sa gamine est pleine de sang, il y a un gosse, lui aussi, couché dans les vécés, le boucher a vu rouge.
Léone:
Ca m'écœure la farce dans la dinde, maman.
Madame Schmidt:
Il a pris le gosse, il l'a foutu dans la cuvette des vécés, la tête en avant; quand le Samu est arrivé, la bouchère a dit: <<C'est rien, des règles douloureuses, ma fille.>> Le Samu, il regardait la flaque de sang, une grosse flaque, l'infirmière, elle jette un coup d'œil dans la cuvette et qu'est-ce qu'elle voit?!... Deux petites jambes de bébé!
Léone:
Un turc?!
Madame Schmidt:
Un arabe, un italien ou un portugais, je ne sais plus, c'est dans le journal...
Passe-moi le fil pour la dinde.
Le boucher est en taule, la bouchère et ses deux filles, inculpées, non assistance à personne en danger.
Là-bas à Rimling, ils n'ont plus de boucher, le bébé, c'est une fille, elle est vivante!
Léone:
La dinde, ça me dégoûte, maman!
Madame Schmidt:
Tais-toi, et mets la table!
[Léone s'évanouit. Tous la regardent. Noir. Épilogue violent.]
[3] Scène 2
[Repas de Noël chez les Schmidt. Riesling, choucroute, kouglof...
Réalité ou souvenir fantasmé de Léone...]
Ensemble, M et Mme Schmidt, Dédé,
Mezzo:
Je-ne-digère-pas-les-radis / Moi-c'est-le-choux / la-soupe-ça-me fait...
Dédé:
Accouche Léone! Dis-le que tu n'aimes pas la dinde!
Monsieur Schmidt:
Le Gewürtz est trop jeune, Yolande; sors un autre Gewürtz!
Madame Schmidt:
À la télé y a de l'opéra.
Ensemble, M et Mme Schmidt, Dédé,
Mezzo:
Je-digère-tout-sauf-le-concombre / moi-c'est-le-choux / ça-me-fait-roter / le-cèleri-en-salade-ça-me-fait-péter...
Dédé:
Accouche Léone! Dis-nous ce que tu as!
Monsieur Schmidt:
Ah! Des profitérolles! Et la Reine de Saba?! Pas de Reine de Saba pour Noël?
Dédé:
Qu'est-ce qu'elle a? Elle est pâle.
Madame Schmidt:
D'abord des profitérolles, et après, la Reine de Saba...
Dédé:
Léone, dis quelquechose!
Madame Schmidt:
Oui, bien sûr, il y en a, toi, et ta Reine de Saba! Gaby! Il y a aussi du... ? kou... ? glof!
Ensemble, M et Mme Schmidt, Dédé,
Mezzo:
Ça-me-fait-roter / moi-c'est-le-choux-je-digère-tout-sauf... / la-soupe-ça-me-fait-péter-Léone-ne-veut-pas / je-ne-digère-pas...
Je-suis-toujours-pleine-de-gaz / les-radis-ça-me-fait... / Léone-ne-veut-pas-que-je-pète / de-quoi-elle-se-mêle?
Dédé:
Regardez Léone, elle est verte.
Madame Schmidt:
C'est la dinde.
Monsieur Schmidt:
Un Gewürtz ou un Riesling? Plutôt un Riesling!
Dédé:
Tu veux vomir, Léone?
Monsieur Schmidt:
Elle a toujours tout rendu! À son mariage! À Noël! Elle est névrosée!
Madame Schmidt:
Il vaut mieux rendre que tout retenir; ne te retiens pas!
Dédé:
Va aux vécés!
[Léone vomit dans le salon.]
Monsieur Schmidt:
Tu aurais pu aller aux vécés, non?!
Léone:
J'attends un bébé!
[Tous la regardent stupéfaits et incrédules. Noir.]
[4] Scène 3
[Léone, seule dans une pièce, tient à la main les résultats de ses analyses. Le chœur fait écho à ses paroles.]
Léone:
Grossesse nerveuse!... Stérile!... Stérile!... Dé-fi-ni-ti... !
Le chœur:
... ve-ment
[5] Scène 4
[Même pièce. Brusque et joviale entrée de papa, maman et Dédé.]
Tous:
Alors?!
Léone:
Le test est positif!
Tous:
Positif? incroyable!
Léone:
J'attends un bébé!
Madame Schmidt:
Enceinte, j'étais une statue grecque! superbe! surtout les yeux!
Monsieur Schmidt:
J'ai pleuré en 1945, la victoire des alliers, j'ai pleuré quand Léone est arrivée, je pleure aux enterrements, j'ai envie de pleurer!
Dédé:
J'ai dit, si c'est positif, fiesta! j'ai dit, si c'est négatif, fiesta quand même! alors... fiesta!
Monsieur et Madame Schmidt:
Fiesta!
Dédé:
Léone, dis quelquechose!
Léone:
... Fiesta!
Mezzo:
[en echo]
Fiesta!
[Intermède]
[6] Scène 5
[Fin de repas de famille chez les Schmidt. Trop de Riesling... Monsieur Schmidt a une attaque.]
Madame Scmhidt
[Devant le corps de son mari.]
Il se meurt! Il meurt! Il est mort!... Gaby! Mon Roland! Ah! Je l'appelle Roland seulement quand ça va mal! Gaby! Parle-moi!
Dédé:
[Entre brusquement, trainant Léone.]
Vite! Léone est tombée dans l'escalier!
Madame Schmidt:
Ah! Mon Dieu! Et son père qui est mort! Il a les oreilles rouges! Il est tout rouge! Il a trop travaillé, l'usine l'a tué! La carrosserie, et puis l'emboutissage! Quarante ans! Et le Riesling! Toi et ton Riesling! Gaby! Toute une vie au Riesling!
Dédé:
[Ayant posé Léone]
Elle s'est jetée dans l'escalier! Elle est folle!
Monsieur Schmidt:
[Revenant à lui]
Ce n'est rien, c'est le chauffage central qui est au maximum! J'ai trop chaud!
Madame Schmidt:
Notre fille est blessée!
Monsieur Schmidt:
Où sont mes lunettes?! Maman!!
[Il meurt.]
Léone:
Il n'y a plus de bébé!
[Elle s'évanouit.]
Madame Schmidt:
Ma fille! Mon mari! Oh! Mon Dieu! Oh! Mon Dieu! Ma fille a perdu son bébé! Mon mari a perdu la vie! Je perds la raison! Oh! Mon Dieu! Pardon!
[Elle va pour saisir le fusil accroché au mur).
Dédé:
[L'en empêchant.]
Arrêtez! Arrêtez! Que faites-vous?!
Madame Schmidt:
Je veux mourir aussi!
Dédé:
Elle veut mourir aussi, je perds pied!
Madame Schmidt:
Gaby! Chéri! Chéri! Je vous salue Marie! Marie! Marie!
Dédé:
Léone!
Madame Schmidt:
Roland!
Dédé:
Léone est folle! Dédé est bouleversé! Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu?!
Madame Schmidt:
Je vous salue Marie! Le Seigneur est avec vous! / Je vous salue Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec vous! / Je vous salue Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec vous!
Dédé:
Je vous salue Marie! le Seigneur est avec vous! Je vous salue Marie!
Madame Schmidt:
Mon amour!
Dédé:
Mon amour!
Madame Schmidt:
Relachement des sphincters!
Dédé:
Léone! Léone!
Madame Schmidt:
Il pue, mon pauvre amour!
Dédé:
On dirait qu'elle est morte!
[7] Transition
[Séquence II: La chambre conjugale: Dédé et Léone]
[8] Scène 1
[Plusieurs jours ont passé. Monsieur Schmidt a été enterré.
Suite à sa chute dans l'escalier, Léone vient "officiellement " de faire une fausse couche. La scène s'ouvre sur la chambre du couple. Léone, encore sous le coup de l'évènement, semble hébétée. Dédé s'approche d'elle...]
Léone:
Ne me touche pas! Dédé! Tu me dégoûtes!... La vie me dégoûte!
Dédé:
Pourquoi tu t'es foutue dans l'escalier?
Léone:
Parce que!
Dédé:
Tu me prends pour une andouille?! Tu l'as fait exprès!
Léone:
Je te hais!
Dédé:
[Pour lui-même.]
Je me sens patraque! Qu'est-ce que j'ai?
Léone (Parlant du bébé.) et mezzo (En écho.):
Je l'aurais aimé, aimé, aimé!
Dédé:
Il faudra nous aimer.
Léone:
J'ai cru t'aimer!
Dédé:
Je t'aimerai toujours!
Léone:
[Rêveuse et pour elle même.]
Un beau bébé...
Dédé:
Il faut recommencer; commander un autre bébé.
Léone:
Je vous ai menti! je vous ai menti!
Dédé:
Que dis-tu?
Léone:
Léone avait gonflé! Le ventre, les seins; son corps avait triché! Tentative ratée!
Dédé:
Que dis-tu?
Léone:
Grossesse nerveuse! Quelle horreur!
Dédé:
Quelle horreur!
Léone:
Je me suis jetée dans l'escalier! Je suis stérile!
Dédé:
Et tu as dit fausse couche?! Mon Dieu!
Léone:
Plus de bébé! Tant mieux! Je suis folle à lier!
Dédé:
Je voulais fonder un foyer.
Léone:
Pauvre type! un foyer!
Dédé:
Je t'aime!
Léone:
Ta gueule!
Dédé:
Si tu me quittes... je te tue!
Léone:
Tue-moi! Tue-moi!
Léone (Parlant du bébé.) et mezzo (En écho.):
Je l'aurais aimé, aimé, aimé!
Dédé:
Repartons à zéro!
Dédé:
Mon amour!
[9] Scène 2
[Léone est restée seule dans la chambre. Entée de Madame Schmidt.]
Madame Schmidt:
Léone! Ta maman a un cancer.
Léone:
Je veux un bébé!
Le chœur (mezzo, ténor, baryton, basse]
Je veux un bébé!
Léone:
Je veux un bébé!
Madame Schmidt:
Un cancer de la mœlle épinière!
[10] Scène 3
[Dédé et Léone dans la chambre. Léone prostrée.]
Dédé:
Avec Dédé, l'animal ne meurt jamais! Je le vide, je le remplis, il réssucite! Exemple: le baudet du Poitou! Plus beau mort que vivant! Grâce à Dédé!
Léone:
Je suis déja morte!
Dédé:
[Il ne l'entend pas.]
Vaches, moutons, gallinacées... les races sont menacées, grâce à Dédé, ils sont là pour l'éternité!
Dédé:
Je suis fier d'être taxidermiste!
Léone:
Tais-toi! Tais-toi! Tais-toi!
Dédé:
Mon rêve: un musée agricole, beau bâtiment classique; et des grands mammifères!
Léone:
Fous le camp! Fous le camp!... je me dégoûte!
Dédé:
Tu fais de la peine à Dédé, c'est un artiste.
Léone:
Je n'arrive pas à pleurer!
Dédé:
Pense à ton père... ; ça te plairait, un petit chien?
Léone:
[Elle rit nerveusement.]
Ah! Ah!... Ah! Ah!...
[Elle hurle.]
[Séquence III: Errance et folie de Léone]
[11] Scène 1
[Léone feuillette fébrilement un bottin de téléphone, à la recherche d'une adresse de maternité. le chœur l'accompagne.]
Le chœur (soprano, mezzo, baryton, basse):
Oh! Dieu! Guide mon doigt! Prends compassion de moi! Dieu! Oh! Dieu!...
Léone:
[Le chœur scande en écho certaines de ses paroles.]
Dieu! Guide mon doigt! Oh! Prends compassion de moi! J'ouvre le bottin! Oh! Ensuite! Oh! Dieu! Clinique, cli-nique! Oh! Maternité! Nous y sommes! Oh! Dieu! Mon doigt tremble! Oh! Dieu! Pousse-moi! Pousse-moi!... Maternité?!... Oui! Oui! Rémy de Gourmont! Merci mon Dieu!
Le chœur:
Ah! J'ouvre le bottin! Clinique! Clinique! Nous y sommes! Ensuite?! Oh! Dieu! Mon doigt tremble! Rémy de Gourmont! Merci mon Dieu!...
Léone:
Mon cœur tremble, c'est le printemps, un signe de Dieu! Clinique Rémy de Gourmont! Clinique Rémy de Gourmont! 78 avenue Ferdinand de Lesseps!... Va! Léone! Va!
Le chœur:
Va!! Va!!
[Elle jette le bottin et s'enfuie.]
[12] Scène 2
[Dans une salle de la clinique Rémy de Gourmont, une famille est réunie autour du lit de bébé. Léone entre, vêtue d'une blouse d'infirmière.]
Léone:
[Parlé.]
Bonjour messieurs-dames, je suis la pédiatre!...
La famille:
Chuuuut!
Léone:
Je vais l'examiner le bébé, je le prends!
[Elle sort avec le bébé).
[13] Scène 3
[Dans les champs en bordure des routes. On voit Léone courir au loin, le bébé volé serré dans les bras. La mezzo chante en écho.]
Léone et mezzo:
Mon amour mon amour mon amour...
[14] Transition
[Séquence IV: <<Ach! Déraison!>>]
[15] Scène 1
[Maison des Schmidt. Léone allongée, couverte de sang, le bébé près d'elle. La scène s'ouvre sur la conversation entre le pompier appelé par Léone et Madame Schmidt qui vient d'arriver.]
Madame Schmidt:
Elle est allée à Rimling? À la boucherie?
Le pompier:
Au retour!... À l'aller elle a volé une blouse blanche aux Galeries Réunies!
Madame Schmidt:
Le boucher est en prison?!
Le pompier:
C'est son neveu! Une famille de bouchers!
Madame Schmidt:
Elle ira en prison?
Le pompier:
J'attends les gendarmes! Si les parents du bébé se constituent partie civile c'est foutu! Elle est folle ou quoi?
Madame Schmidt:
Elle est stérile, elle a fait une grossesse nerveuse!
Le pompier:
Ma femme m'a dit: <<fais-toi stériliser Henri, la pilule ça me donne mal à la tête>>. Je lui ai dit: <<essaie le stérilet>>. Elle m'a dit: <<le stérilet, pas confiance!>>. On a déja quatre enfants, je ne suis qu'électricien... et pompier! Je suis courageux! Me faire stériliser, moi, jamais!
Madame Schmidt:
Mon mari a travaillé quarante ans chez Peugeot. Mon gendre est taxidermiste, un bon taxidermiste! Je suis veuve et j'ai un cancer!... Mon Dieu!
Madame Schmidt:
Donc elle s'est arrosée de sang de bœuf!?
Le pompier:
Elle m'a téléphoné, elle m'a dit: <<venez! j'ai accouché>>!
Léone:
Mon amour... mon amour... mon amour...
[Dédé entre tenant dans ses bras un petit chien, un chihuahua.]
Dédé:
Il m'a coûté six mille francs!
Le pompier:
J'ai cru que c'étaient les gendarmes!
[16] Scène 2
Le chœur (soprano, mezzo, baryton, basse]
Ach! Déraison!... Ach! Déraison! Ach! Pauvre fille sans fille! Ach! la fille vole une fille!... Ach! Déraison! Ach!
[17] Scène 3
[Quelques mois plus tard. L'affaire du vol de bébé a fait scandale. Léone a été condamnée. Dédé et Léone, de nouveau dans la chambre conjugale...]
Dédé:
Ils auraient dû t'enfoncer, te foutre en prison! Un an et demi avec sursis, c'est pas assez.Voler un enfant... , la honte!
Léone:
[À Dédé qui la secoue.]
Tu me fais mal, Dédé!
Dédé:
Je suis taxidermiste, c'est rare!... Et ma clientèle? Je suis foutu, tu es folle!
Léone:
Ta clientèle, je m'en fous!... Je m'en fous!
Dédé:
Tu deviens laide, les femmes sont si fragiles!
Léone:
Je hais la Moselle.
Dédé:
J'aimais tes yeux verts, et l'odeur de tes cheveux.
Léone:
Tu me dégoûtes, les mains surtout!
Dédé:
On peut gâcher une vie en quelques secondes!
[18] Scène 4
Le chœur (mezzo, baryton, basse):
Ach! Déraison! Ach! Pauvre fille!... Ach! Le juge dit à la fille: <<un an et demi avec sursis>>. Il était moins une qu'elle zille à Fleury Mérogis!
[19] Scène 5
[La maison des Schmidt. Madame Schmidt agonise en présence de Léone et Dédé.]
Madame Schmidt:
Tu as taché le nom des Schmidt! Taché!
Horreur! Ma fille condamnée! Tu as tué ta mère!
J'aimais l'opéra, à la radio... Aida! Et mes rêves!... Le Palm Beach!... Le Mexique! Et nos vacances d'été?!... L'île de Ré!
Les Polypodes, léone, les Polypodes!...
Polypodes... , c'est comme fougère! Ré!... Ré!... C'est un Dieu?!
Vieux souvenirs scolaires!... La maison des Schmidt, image du bonheur! Mon Roland! Ma <<Léone d'avant!>>... mes amours!... Le Palm Beach!... Le Mexique!... Trop tard!... Je meurs!
La maison chérie des Schmidt... Bonheur si court.
Taché... le nom... taché!... Tu as taché le nom!... Taché!
Ré! C'est un Dieu?!
[Elle meurt.]
Léone:
Elle me sourit!...
[À Dédé qui sort.]
Où vas-tu?
[20] Scène 6
Le chœur (mezzo, baryton, basse):
Ach! Déraison!... Ach! Folie!... Vallée de larmes pour Léone et Dédé!
[21] Scène 7
[À l'hôpital psychiatrique. Dédé, accompagné du chien Léon, rend visite à Léone prostrée.]
Dédé:
Des roses pour toi, ma Léone. On efface, on recommence... repartons à zéro... mon cœur est intact!
Tu es pâle, dis quelquechose!... Tu me hais?... Aimes-tu Léon?... Tu me brises!
Tu es bien soignée... tu devrais manger... l'hôpital est beau... je ne tourne plus rond.
La maison des Schmidt est vendue... voilà le chèque.
Tu m'aimes?... Viens, Léon!... À demain!... Tu n'aimes pas les roses?!
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[2e de 2 parties]
[22] Introduction
[Séquence V: À Rimling, bourg de Moselle]
[23] Scène 1
[Léone et Dédé sont installés à Rimling. Déchéance, insalubrité, rumeurs et plaintes des voisins. Discours simultanés.]
Le pompier et un voisin:
La mairie m'a dit: Ils sont nouveaux et ils font scandale! J'ai dit à la mairie: Ils s'appellent Léone et Dédé, ils boivent et ils se battent! La mairie m'a dit: Loyer impayé; on leur a coupé l'eau, l'électri-cité! J'ai dit à la mairie: Ils ont dilapidé l'argent qu'ils avaient, ils en avaient, ils n'en ont plus! La mairie m'a dit: Animaux empaillés, rats, insalubrité, folie! J'ai dit à la mairie: On a tout nettoyé, Dédé s'est faché, il nous a menacé, il est armé! La mairie m'a dit: Ces gens là sont dangereux! J'ai dit à la mairie: Ils ont perdu leur dignité! La mairie m'a dit: À Rimling, on n'a jamais vu ça!
J'ai dit à ma femme, à mes enfants que c'est le destin, hélas, qui a frappé Léone et Dédé!
La pompiste:
[En même temps que le pompier et le voisin.]
Les nouveaux, ils sont arrivés à Rimling à Pâques! Elle, sale comme une truie! Lui, toujours sur sa mobylette! Des cinglés! Chez eux c'est cra-cra! Ils payent pas leur loyer, on leur a coupé l'eau! Et puis leur chien, une miniature excitée qui aboie! Elle vole pour le nourrir! On a dû appeler les pompiers qui ont appelé la mairie et la mairie a envoyé des agents de propreté qui ont tout nettoyé du sol au plafond! Il y avait des rats des rats et des tonnes de vieux journaux! Lui; il gueulait! Il disait que les journaux ça tient chaud, que c'est les témoins du passé, qu'il voulait les donner à la bibliothèque municipale! Et puis des animaux empaillés en veux-tu en voilà, des écureuils, des biches, des baudets, qui puaient! À demi rongés par les rats! Il disait qu'il voulait les donner au muséum d'histoire naturelle de Rimling, mais à Rimling, y a pas ce genre de muséum! On préfère avoir d'autres salles de cinéma et une nouvelle pizzeria! Vous direz merci à la mairie, les agents de propreté ont bien travaillé, ces cochons, ils vont être expulsés! Et encore merci à la mairie!
[24] Scène 2
[Une station service à Rimling. Léone arrive en mobylette avec le chien Léon.]
Léone:
Vous m'en mettrez pour vingt-cinq francs!
La pompiste:
Vous en avez un drôle d'air, vous êtes de Rimling?
Léone:
Excusez-moi, Je sens mauvais! On m'a coupé l'eau! Mon mari n'est qu'un artiste, donnez-moi de l'essence!
La pompiste:
Fous le camp cinglée! Je la reconnais, c'est la mobylette du tordu!
Léone:
Je peux payer! Léon dis bonjour à madame! Il est pas beau mon chihuahua? Ma mère est morte et mon père aussi, je cherche du travail, vous cherchez personne pour le ménage?
La pompiste:
Lucien! Viens! C'est la folle de Rimling avec son Clébard!
Léone:
Ils m'ont foutue dans un hôpital psychiatrique!
La pompiste:
Mon mari a une 22 long rifle!
Léone:
J'ai les nerfs malades!
La pompiste:
Lucien!
Léone:
Du calme, pauvre conne!
[Léone et Léon s'enfuient.]
[Séquence VI: La cavalle de Dédé]
[25] Scène 1
[Dénoncé par une fermière, Dédé passe en jugement pour viol de cochettes. Le bureau du juge d'instruction.]
La juge:
Avez-vous pesé la portée de votre acte?
Dédé:
Je n'ai rien pesé du tout, je ne suis pas un détraqué sexuel, j'étais aux cents coups à cause de Léone! Elle a perdu la boule!
La juge:
Hématome à la rate consécutif à l'excitation intempestive d'un verrat conduit par le triste individu que vous êtes! Ce n'est pas rien ça Monsieur!
Dédé:
J'arrivais à mobylette, je forçais un peu la porte de la porcherie! Je me déshabillais dans l'odeur chaude des cochettes, les petites truies! Cochettes ou petites truies, c'est pareil! Les cochettes me reniflaient, le verrat leur reniflaient le troufion! Le verrat savait ça, si la cochette était en chaleur, moi, ensuite, je visitais la cochette! C'était un instant de folie!
La juge:
Nuit du 9 au 10: traces de pas dans les déjections des cochettes, arrêt sur la numéro 695, empreintes sur le dos de la numéro 695! La 695 avorte le 10, rejette quinze gorets, elle meurt le 17! On a reconnu les empreintes de vos chaussures, un modèle de la Redoute; L'avez-vous commandé à la Redoute?
Dédé:
Oui Madame la Juge!
La juge:
Qu'avez-vous fait à cette pauvre 695 pour qu'elle décède?
Dédé:
Je l'ai seulement farfouillée!
La juge:
Avez-vous remarqué qu'elle devait mettre bas?
Dédé:
La 695? Non Madame la Juge!
La juge:
Que s'est-il passé dans votre tête?
Dédé:
J'ai porté des roses à Léone tous les jours à l'hôpital psychiatrique, elle a été un an à l'hôpital psychiatrique; quand elle en est sortie elle ne m'a pas dit merci pour les roses, elle aurait dû! une rose coûte vingt-cinq francs pièce!
Je ne voulais pas de mal aux cochettes, je le jure!
Ma femme me délaisse, les bêtes me comprennent, c'était un instant de folie!
[26] Transition
La fermière:
Les nouveaux, ils sont arrivés à Rimling à Pâques; elle, sale comme une truie, lui, toujours sur sa mobylette, des cinglés! Chez eux c'est cra-cra, ils payent pas leur loyer, on leur a coupé l'eau. Et puis leur chien, une miniature excitée qui aboie! Elle vole pour le nourrir! On a dû appeler les pompiers, qui ont appelé la mairie...
[27] Scène 2
[Dédé arrive en mobylette. Une carabine camouflée sous son manteau.]
Dédé:
Tu m'as dénoncé, ordure! tu m'espionnais?!
La fermière:
Détraqué!
Dédé:
Mes chaussures m'ont trahi, si j'avais su je serais venu pieds nus!
La fermière:
Détraqué sexuel!
Dédé:
Léone ne m'aime plus, j'avais besoin de tendresse!
La fermière:
Mon mari a une 22 long rifle!
Dédé:
Moi aussi!
[Il sort sa carabine et tire aussitôt; elle tombe, morte.]
Je lui ai fait peur... c'est mon regard qui fait peur!
[Séquence VII: Érrance et folie de Léone (suite)]
[28] Introduction (Le fleuve destin...]
[29] Scène 1
[Léone, au bord du fleuve, avec son chien Léon.]
Léone:
Avant j'avais des yeux comme des feuilles, plutôt profonds et verts. Maintenant ils sont vides. À cause de mes ovaires! Ovaires improductifs! J'en suis là! Je vais me foutre à l'eau! Je ne sais pas nager!
Et le fleuve coule or je désespère l'âme hirsute!
À quel moment tout a basculé? Dans la salle à manger de ma mère peut-être! Entre les pommes... sur le bahut... et les chaises en skaï, et la tapisserie au mur: biches à l'étang! Et puis le Riesling de mon père!
Ce n'était rien... rien! J'ai tout dramatisé... je me suis trahie!
Et le fleuve coule et j'appelle la mort!
Combien de minutes, quand on se noie, on espère encore la vie?
Y a-t-il beaucoup de douleur dans l'aspiration de l'eau? Et cette attaque pulmonaire? Est-ce tolérable? Quand devient-elle mortelle?
Voit-on les poissons qui se meuvent? Et les algues? Et le bruit du fleuve... parvient-il encore? Non! C'est le bourdonnement dans les oreilles pénétrées par cette eau que l'on avale aussi! Si je ferme la bouche, j'avale? Non! Mais... j'avale par le nez!
La mort est là... subitement... où on l'espère encore... que déja elle nous a happés! Pauvre pantin mouillé!
On verra bien! Adieu Léon!
[Elle se jette à l'eau. Léon hurle à la mort.]
[30] Scène 2
[Dans la prairie, près du fleuve. Le pompier apparaît portant Léone.]
Le pompier:
Moi qui aime tant les femmes, leur petite fente et leur odeur de fenouil... je suis étonné de ne pas avoir de vibrations en portant celle-là! Il faut dire qu'elle est aussi lourde qu'une benne de sable... trempée de flotte comme elle est... à moitié morte!
Les gens de Rimling sont fous! Des infanticides! Des noyés!
Léone:
[Revenant à elle.]
Maman papa où êtes-vous? Suis-je arrivée?
Le pompier:
Elle me prend pour Saint Pierre! Je m'appelle Henri, Madame!
Léone:
Mon Dieu le pompier! Le même?!
Le pompier:
J'ai été nommé à Rimling... c'est une promotion!
[Pour lui-même.]
Si ma femme me voyait!
[À Léone.]
C'est quoi votre adresse?
Léone:
Je n'ai plus d'adresse!
Le pompier:
Je vous pose, vous êtes lourde! J'attends les gendarmes.
Léone:
Les gendarmes!!
Le pompier:
Vous êtes un visage connu... Qui êtes-vous?
Léone:
La princesse de Monaco!
[Elle s'enfuit.]
Le pompier:
Tanpis! Je raconterai des bobards aux gendarmes! J'aurais juré que c'était la folle de Rimling!... Dieu! Que la prairie est belle en automne! Je vais me tremper les pieds! Un pompier qui enlève ses bottes est toujours un pompier!
[Passe Léon le chien.]
Le pompier:
[Parlé.]
C'est un lapin ou une belette?... Non! C'est un Chihuahua!
[Séquence VIII: La cavalle de Dédé (suite)]
[31] Scène 1
[La station-service de Rimling. Dédé arrive en mobylette tirant une cochette empaillée, montée sur roulette.]
Dédé:
Vous m'en mettrez pour vingt-cinq francs!
La pompiste:
Lucien! Viens! C'est le tordu!
Dédé:
J'ai dit vingt-cinq francs! Attention je suis nerveux! J'ai perdu Léone qui a tout perdu même son honneur! Mon honneur, vous savez où je le place? Dans le mammifère! J'ai toujours fait du grand mammifère!
La pompiste:
Lucien vite!
Dédé:
J'ai retrouvé ma mobylette sans ma femme et sans essence! Vous l'avez vue ma femme?
La pompiste:
Fous le camp cinglé!
Dédé:
Vous ne répondez pas à ma question.
[Il sort sa carabine.]
Je vous fais peur?!
La pompiste:
Mon Dieu! Il est armé! J'ai une fille que j'aime!
[Il tire. Elle tombe.]
Dédé:
Il ne faut rien me refuser... elle m'a refusé ses cochettes, j'ai tiré. Je n'aime pas être bafoué!
[Passe Léon le chien.]
[32]
Dédé:
Léon! Et Léone?!... Il va me conduire à Léone! Va Léon! Va!
[Il enfouche sa mobylette et disparaît en suivant Léon.]
Scène 2
[Aux alentours de Strasbourg. Un lieu sombre et humide.
Dédé, sa mobylette, le chien Léon et la cochette sur roulettes.]
Dédé:
Halte-là vieux porc! C'est quoi cette lumière qui touche mon épaule?
Pas l'épaule! Je n'aime pas qu'on me tape sur l'épaule!
[Il saisit sa carabine.]
Haut les mains!
Le clochard:
[Riant.]
Ah! Ah!... Du calme! C'est une lampe de poche! Tu as un regard de coupable!
[S'approchant de la cochette.]
C'est une truie?!
Dédé:
C'est une truie!
Le clochard:
Empailler une truie! Un oiseau d'accord, mais une truie!
Dédé:
Je suis un artiste! Je ne fais que du grand mammifère!
Le clochard:
[Sifflement admiratif...]
Beau boulot! On voit pas les coutures!
Dédé:
Touche pas! Retire tes pattes! Vieux dégoûtant!
Le clochard:
[Riant.]
Ah! Ah!... Ma femme m'a dit: <<Je ne t'aime plus, tu me dégoûtes, les mains surtout!>> Alors, j'ai picolé! Elle me disait: <<Dédé>>, je m'appelle André, Monsieur, <<Dédé! Tu me dégoûtes!>>. J'ai manqué de tendresse ! Monsieur! J'ai soif!
Dédé:
[Le repoussant avec violence.]
Casse-toi! Tu pues!
Le clochard:
[Rigolard.]
Ah! Ah!... Je suis une truie!
Ma femme était institutrice, Monsieur! À Rimling! Le boucher de Rimling a foutu le gosse à sa gamine dans les vécés! un criminel!...
Un bébé dans les vécés!... un bébé!
Dédé:
Ta gueule!... Haut les mains!... Laisse-moi passer!
[Il tire sur le clochard qui semble indifférent...]
Vite Léon! Vite!
[Il prend Léon et s'enfuit.]
[33]
Le clochard:
[Riant]
Ah! Ah!... Ah! Ah!...
Scène 3
Le clochard:
Ayez pitié de l'homme à la truie! Un pauvre type! Ayez pitié du boucher de Rimling! Un pauvre type!
[Le chœur -soprano, mezzo, baryton - vient s'adjoindre au clochard.]
Le chœur:
Ayez pité! Ayez pitié! Ayez pitié de votre serviteur André! Des pauvres types! Ayez pitié! Ayez pitié du boucher de Rimling!...
Le clochard:
Ayez pitié de votre serviteur André! Un pauvre type! Ayez pitié des hommes en général! Des pauvres types! Ayez pitié des femmes en général! Des pauvres types! Ayez pitié des taxidermistes! Des pauvres types! Ach! Ach! Des pauvres types! Ayez pitié! Ayez pitié!
[Le chœur poursuit parlé-chanté en proférant des ragots à propos de l'histoire de Dédé et Léone.]
Le clochard:
[Parlé.]
<<Dédé, tu me dégoûtes, surtout les mains!>> Qu'est-ce qu'elles ont mes mains?... Du sang! Il y a du sang sur mes mains!
[Séquence IX: Dédé retrouve Léone en gare de Strasbourg]
[34] Scène 1
[Le relais-toilettes de la gare de Strasbourg. Léone devenue 'dame-pipi' chasse un africain qui fait sa toilette intime aux lavabos.]
Léone:
Je vais appeler la police saligaud! Montrer son cul à une pauvre femme comme moi! Fous le camp! Tu peux pas te laver chez toi! Négro! Ça vit à poil cette race-là! T'es à Strasbourg pas au Cameroun! Et ça montre sa bite à tout le monde! Mon relais-toilettes c'est nickel! Les cochons je les fous dehors! Ma mère était très propre! Remonte ton pantalon ou je te la coupe! Il en a une, on dirait un âne! C'est monté comme des baudets ces nègres!
[L'africain s'enfuit. Apparaît alors à la porte du relais-toilettes l'énorme cochette empaillée montée sur roulettes. Sur le dos de l'animal, il y a Léon le chien!]
Léone:
Léon! Mon amour! tu m'as retrouvée! Ces miniatures, c'est solide!
Un chihuahua exceptionnel!
[Considérant soudain la cochette.]
Qu'est-ce que c'est que ce mammouth?!
[35] Scène 2
[Dédé apparaît alors. Sa carabine est dissimulée sous son imper.]
Dédé:
Ma Léone! Je te retrouve!... Tu admires mon travail?! Une cochette empaillée pour Noël, une pièce de musée!... Pourquoi ces plages de silences, mon amour? J'avais l'odeur de ta peau dans la narine!
Léone:
Je venais de laver mon relais-toilettes et tu me mets de la boue partout!
Dédé:
Ne sois pas si vulgaire Léone, écoute-moi! La première fois que je t'ai vue, j'ai regardé l'intérieur de ta bouche, l'intérieur de tes bras, de tes cuisses, de ton sexe, c'était partout du velours de première qualité! Suis-moi Léone! C'est un ordre!
Léone:
Tu es complètement cinglé Dédé!
Dédé:
Quand il n'y a pas d'œufs dans la mayonnaise il n'y a pas de mayonnaise! Je suis un sucrier sans sucre! Tu me manques! Sans toi je ne peux pas vivre!
Léone:
Je t'avais oublié Dédé!
Dédé:
Ne dis pas ça! Explique-moi! Je n'ai pas vu le moment critique où tout a basculé! Qu'est-ce qui s'est passé à Rimling? Et avant? Tu as toujours ton regard vert!
Léone:
La ferme Dédé! Tout est fini! Tout est fini Dédé!
Dédé:
Ne dis pas ça mon amour! Mon amour!
Léone:
Fous le camp Dédé! Tes chaussures sont dégueulasses! Je boucle mon relais! C'est l'heure! Je suis fatiguée, je ferme!
Dédé:
Pas ça Léone! Pas ça!
[Il sort son fusil et abat Léone qui s'effondre.]