Amer savoir, celui qu'on tire du voyage!
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui!
Faut-il partir? rester? Si tu peux rester, reste
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste
Le Temps! Il est, hélas! des coureurs sans répit
Comme le Juif errant et comme les apôtres
À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau
Pour fuir ce rétiaire infâme; il en est d'autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau
Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine
Nous pourrons espérer et crier: En avant!
De même qu'autrefois nous partions pour la Chine
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent
Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le coeur joyeux d'un jeune passager
Entendez-vous ces voix charmantes et funèbres
Qui chantent: <<Par ici vous qui voulez manger
Le Lotus parfumé! c'est ici qu'on vendange
Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n'a jamais de fin!>>
À l'accent familier nous devinons le spectre
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous
<<Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre!>>
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux
Ô Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre!
Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte!
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau!