Etonnants voyageurs! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers!
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires
Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons
Dites, qu'avez-vous vu?
<<Nous avons vu des astres
Et des flots, nous avons vu des sables aussi
Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici
La gloire du soleil sur la mer violette
La gloire des cités dans le soleil couchant
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant
Les plus riches cités, les plus grands paysages
Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages
Et toujours le désir nous rendait soucieux!
La jouissance ajoute au désir de la force
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais
Cependant que grossit et durcit ton écorce
Tes branches veulent voir le soleil de plus près!
Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès? - Pourtant nous avons, avec soin
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin!
Nous avons salué des idoles à trompe
Des trônes constellés de joyaux lumineux
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux
Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints
Et des jongleurs savants que le serpent caresse>>
Et puis, et puis encore?
<<Ô cerveaux enfantins!
Pour ne pas oublier la chose capitale
Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché
Du haut jusques en bas de l'échelle fatale
Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché
La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide
Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût
L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide
Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout
Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote
La fête qu'assaisonne et parfume le sang
Le poison du pouvoir énervant le despote
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant
Plusieurs religions semblables à la nôtre
Toutes escaladant le ciel; la Sainteté
Comme en un lit de plume un délicat se vautre
Dans les clous et le crin cherchant la volupté
L'Humanité bavarde, ivre de son génie
Et, folle maintenant comme elle était jadis
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie
>>Ô mon semblable, mon maître, je te maudis!<<
Et les moins sots, hardis amants de la Démence
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin
Et se réfugiant dans l'opium immense!
Tel est du globe entier l'éternel bulletin>>